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Cette page vous propose un texte condensé définissant la préoccupation intellectuelle et éthique qu’expriment les textes publiés sur le site et placés sous le titre « développement - modernité sans rivages ».
Les circonstances m’avaient privilégié d’être témoin direct des phénomènes se déroulant sur la scène mondiale et régionale, au cours du demi siècle dernier, et d’y avoir participé intellectuellement ou moralement.
Ayant occupé, durant les années cinquante, des postes divers dans les douanes, j’en avais acquis une connaissance pratique des questions du commerce et du développement. En même temps, j’avais mené à bien des études et obtenu la licence en droit français. Une année passée ensuite à Sofia, m’a montré dans les faits certaines pratiques du régime communiste.
A Genève (1960-1970), j’avais poursuivi mes études approfondies en droit international public, puis en sciences économiques et obtenu le doctorat sur un sujet, alors, de première actualité : Culture et développement économique en Syrie et dans les pays retardés1. Cette longue résidence dans le pays de Calvin, de Rousseau et de l’ONU m’a enrichi d’une expérience culturelle extrêmement utile pour la compréhension des problèmes de développement et des relations internationales.
De retour au pays, j’ai eu l’occasion d’exercer des occupations diverses : recherches scientifiques, journalisme, conférences, haut conseiller économique, consultant à l’UNIDO pour étudier le développement en Mauritanie où j’ai pu toucher du doigt l’amère réalité d’un sous-développement type dû, pour beaucoup, à l’irresponsable cupidité de l’impérialisme.
Notre époque contemporaine a connu 4 projets fondamentaux de développement, alternatives au projet capitaliste libéral en faillite:
Responsable du déroulement de la modernité occidentale et de la révolution industrielle, entré en crise générale à partir de 1914 et tombé en faillite dans la Grande crise et ses suites, le projet libéral dut, alors, disparaître de la scène. Disparition assurément apparente puisqu’il va aussitôt entamer contre ses rejetons rebelles, une guerre souterraine sans merci, dite ‘Guerre Froide’, qui entraîna des gaspillages énormes et enflamma toute la planète, poussant l’humanité entière dans un état de lassitude épuisante, et par là préparant le terrain au retour triomphal des forces conservatrices.
Celles-ci, entreprirent alors (années 80) l’édification du projet néolibéral qui, profitant notamment de l’effondrement du socialisme et de la révolution scientifique fulgurante, se rendit fort attrayant et conquit le monde entier. On assista dès lors à un renversement total du système mondial, à l’effondrement des projets précédents et même au dénigrement des idées qui ont toujours fait la splendeur de l’Occident, celles de Lumières, modernité, progrès, etc. Par contre, et en même temps, se répandit la mondialisation sans frontières et son discours dit unique de ‘village planétaire’.
Comme d’innombrables gens en Europe et ailleurs, j’ai vécu ces temps avec des sentiments d’angoisse et d’appréhension, me posant des questions troublantes qui suscitèrent en mon esprit une sorte de crise de conscience : quelles sont les raisons de ces retournements, de ces erreurs, de ces excès inouïs? Nos espérances en un monde meilleur, étaient-elles extravagantes, erronées? La vie serait-elle purement animale, privée de sens? Ou serait-ce là le jeu des forces objectives du long mouvement de l’histoire qui s’imposent à nous? Comment alors imaginer le lendemain qui nous attend?
Ce questionnement m’a alors orienté au-delà de la science économique, vers les sciences humaines, la philosophie politique en particulier, afin de mieux comprendre le réel, les conditions de sa transformation et le rôle potentiel qu’y peuvent jouer les hommes. Bref, une sorte de bouleversement commença à s’opérer dans ma culture, mettant sans cesse en cause ma façon de voir et de juger et les choses et moi-même.
Mais, que nous dit justement le monde réel? Le projet néolibéral a-t-il tenu ses promesses fantastiques?
Ce dont nous sommes témoins au cours des deux décennies écoulées nous paraît franchement décevant et même aberrant: guerres, crises, violences, terrorismes, fanatismes, hubris généralisé proche de la folie, bref désenchantement partout, notre région arabe étant la mieux servie.
Serait-ce donc la déroute de la ‘folie’ néolibérale, comme tendent à le montrer les faillites gigantesques, les guerres sans fin, les crises financières en cours (2008-2009) et la grande tempête économique qui souffle?
La ruine serait-elle proche, donc? Peut-être pas, mais en tous cas, ça prouve la faillite du projet, sa déligitimité, des signes d’un monde qui bat gravement de l’aile, et, en face, un monde autre qui bourgeonne.
L’état du monde n’ouvre donc point sur des «lendemains qui chantent», bien au contraire. « There is no alternative » ne cessent cependant de proclamer avec morgue les adeptes de la mondialisation et beaucoup d’autres, bien que pas pour les mêmes raisons. La seule alternative serait-elle, donc, la catastrophe?
L’alternative, voici le secret, la question fondamentale qui se pose aujourd’hui à l’humanité. Elle ne sortira point cependant toute faite de la tête d’un quelconque génie. Constatons néanmoins qu’elle a commencé à se construire, il y a déjà un siècle ou peu s’en faut. Tentatives malheureuses, certes, mais ce n’est pas la fin du monde. C’est donc affaire du réel, de l’histoire. Mais qu’est ce que le réel, sinon l’action des hommes sur eux-mêmes et sur les choses ? C’est donc notre tâche, gens du 21eme siècle; tâche, assurément de longue haleine, donc celle des générations actives qui viennent. L’histoire et notamment les grands bouleversements du siècle dernier nous apprennent que le développement n’est jamais linéaire, qu’il est un processus dialectique circulaire, complexe et sans rivages, et donc qu’il nous faut « savoir attendre », certes, mais en même temps et surtout savoir préparer le terrain du changement. C’est dans un telle dialectique globale qu’ambitionnent de se situer les œuvres dans ce site.
1. Le terme ‘retardé’ a été forgé par l’auteur dans cette thèse même. Il voulait souligner le fait que le développement est empêché, surtout, par des causes inhérentes au système dominant lui-même.